Dans ce dernier post bonus sur mon Substack, j’aborde la question du lieu de travail (télétravail vs. bureaux), et par extension de la nature de notre travail.
Une question d’inclusion et diversité ?
La question du lieu de travail est devenue un enjeu majeur que je voulais initialement aborder avec les questions d’inclusion et de diversité. Mais l’idée de mettre ce sujet sur le même plan que la parité homme/femme ou la diversité multi-culturelle ne m’emballait pas trop. Et puis comme le post précédent était déjà long, il m’a paru plus approprié d’en parler à part.
Mon postulat de départ était de considérer l’existence de nombreuses inégalités dans notre rapport au travail : les caractères extravertis ou introvertis, la distance domicile/travail, la situation familiale, la taille du logement et des bureaux, etc. Bref, il y a beaucoup de paramètres qui font que l’on va préférer travailler dans des bureaux ou de chez soi. Le manager doit évidemment gérer tous cela pour garantir la cohésion et l’efficacité de son équipe, tout en mettant chaque individu dans les meilleures conditions de travail.
Mais lorsque l’on a dit cela, on n’a pas dit grand chose. Il y a des politiques globales d’entreprises, des gens qui abusent de la liberté qu’on leur laisse, d’autres qui deviennent super efficaces à la maison. Le télétravail libre peut marcher dans certaines entreprises et échouer dans d’autres. Alors je me suis plutôt posé la question de savoir pourquoi le télétravail était devenu aussi populaire.
Pourquoi le COVID a été un déclic pour une organisation du travail nouvelle dans les métiers tertiaires ?

Métro, boulot, dodo
Le premier élément de réponse, majoritaire dans l’analyse de l’Apec illustrée ci-dessus, est la fuite en avant de la distance domicile/travail, en particulier dans une ville comme Paris.
Depuis mes 15 ans et mon entrée au lycée, j’ai utilisé à peu près tous les moyens de transport possibles pour aller étudier ou travailler : bus, métro, tramway, RER, Transilien, Velib’, et même ponctuellement la voiture. Il y a un seul moyen de transport que je n’ai pas utilisé depuis plus de vingt ans : la marche à pied. Et pour cause, je n’ai pas étudié ni travaillé à moins de trente minutes en transports de chez moi, alors que j’habite dans Paris.
Dans l’histoire de l’humanité, l’Homme a toujours vécu au même endroit qu’il travaillait, la notion de “travail” étant pendant des siècles indissociable de la vie privée. Le paysan vivait dans sa ferme, l’artisan près de son atelier, le commerçant derrière son magasin. Même avec la révolution industrielle, les ouvriers et ingénieurs habitaient en général non loin des usines, alors proches des centres urbains1. Mais depuis l’après-guerre, l’accélération de l’urbanisation a tout changé, au point que l’on considère maintenant comme “normal” le fait de passer deux heures par jour dans des moyens de transport inconfortables.
Ainsi, quand l’option de (re)travailler directement chez soi est apparue, elle a immédiatement eu du succès. C’est simplement un retour à la normalité de l’Histoire. Plus généralement, notre société semble avoir pris conscience de cette dérive extrême atteinte au début du XXIe siècle et nous entamons seulement de grands chantiers pour revenir à un mode de vie plus raisonnable, par exemple avec les nouvelles politiques d’urbanisation (Grand Paris, fin du tout-voiture), de mobilité multi-modale, d’accès au logement, ou encore de décentralisation.
Le télétravail est une composante importante de cette évolution, avec de forts impacts à court terme pour ceux qui en bénéficient, mais aussi pour les autres (moins de voyageurs, moins de concentration des travailleurs). En ce sens, il devrait être autorisé partout où cela est possible. Je pense même que les entreprises devraient avoir l’obligation légale de proposer du télétravail, comme cela a été fait durant le COVID.

La nature du travail
Le deuxième élément expliquant la popularité du télétravail est en lien avec la notion même de travail et le rejet général de cette idée du présentiel, qui voudrait que l’on “travaille” uniquement lorsque l’on est derrière son écran, bien visible de son manager.
Posez vous simplement la question des moments où vous avez trouvé des solutions à vos problèmes professionnels. Pour moi : en marchant dans la rue, dans le métro, en faisant mes courses, sous la douche, en discutant avec mes collègues à la machine à café, en parlant avec ma femme. Rarement tout seul devant mon écran au milieu d’un open-space bruyant, ou même durant les réunions qui sont un moment de partage et d’alignement de solutions préalablement réfléchies.
Les métiers éligibles au télétravail ont ceci en commun qu’ils comportent une grande part de créativité. Nous sommes des “créatifs”, pas au sens artistique tel un peintre ou un musicien, mais nos métiers demandent de trouver des solutions à divers problèmes : un besoin utilisateur, une organisation de planning, un flux de travail, une architecture technique, un message de fond pour un discours ou un email. Ces solutions sont le fruit de notre créativité, bien aidée par notre expérience.
Je n’aurai pas assez de ma carrière pour partager suffisamment cette vidéo de John Cleese sur la créativité au travail (en anglais uniquement malheureusement) qui débute par cette phrase forte : “La créativité n’est pas un talent, c’est une façon de travailler”. Durant ces 37 minutes brillantes (et drôles) datées de 1991, ce célèbre membre des Monty Python explique que la créativité ne peut s’exprimer qu’en mettant en place certaines conditions de travail permettant de laisser libre-court à son imagination. Ainsi, le fait de laisser les employés libres de choisir le meilleur lieu pour réaliser leurs différentes tâches et pour exprimer leur créativité est un gage de productivité et d’efficacité.
Donc à la question du lieu de travail, je pense qu’il faut se concentrer sur l’essentiel : nous avons tous besoin d’avoir à la fois des moments de calme, de concentration, de créativité, et des moments de partage et de sociabilisation, que chacun exprime de façons différentes dans des bureaux, ou chez soi, ou ailleurs. Mais le fait d’imposer aux employés de passer 8h par jour au bureau devant leur écran ne les met certainement pas dans les meilleures dispositions pour réaliser la partie créative de leur travail, pourtant essentielle.
Il faut donc revoir notre vision de ce qu’est le travail, faire confiance aux équipes et aux individus dans la réalisation de ce travail, et mettre en place un environnement incitant à la responsabilisation et au sens du devoir, en particulier via les valeurs et thèmes mis en avant dans l’entreprise et portés par les managers modernes. La boucle est bouclée.

Et voilà !
C’est la fin de mes posts sur ce Substack éphémère, du moins pour le moment. Je ne m’interdis pas d’écrire de nouveau à l’avenir, par exemple pour revenir sur mon expérience actuelle d’indépendant, mais ce ne sera pas avant longtemps car ceci prend beaucoup de temps2 .
Merci à ceux qui ont pris le temps de me lire. À bientôt !
Mon grand-père, qui travaillait en tant que dessinateur industriel chez Citroën, a fait une grande partie de sa carrière dans le 15e arrondissement, proche de chez lui, dans des ateliers situés sur l’actuel parc André Citroën. Si je devais travailler chez Citroën (ou plutôt Stellantis) de nos jours, ce serait soit à Poissy, soit à Velizy…
Chaque post m’a pris en moyenne une dizaine d’heures de travail